La Joie de Peindre

Nancy Tikou-Rollier
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L’atelier « La Joie de Peindre » ferme ses portes

Ouvert en 1973, l’atelier de peinture pour enfants et adultes, situé en bordure de la Place Favre, dans une villa protégée du XVIIIème siècle, a accueilli pendant 47 ans petits et grands dans une ancienne salle-à-manger aménagée spécialement, afin qu’ils puissent s’exprimer en toute liberté chaque semaine, bien à l’abri des critiques en tous genres.


Après ma formation à l’école des arts décoratifs à Genève, puis pendant deux ans à l’école de praticiens d’éducation créatrice à Paris, ma mère Gisèle Rollier, la locataire de cette maison, a eu la bonté lors de mon retour, de mettre à ma disposition deux pièces pour y installer un atelier de peinture et un bureau pour l’archivage des travaux. Elle m’a toujours soutenue et encouragée dans ma démarche ; d’ailleurs, elle est venue peindre elle-même pendant plus de 40 ans dans ce lieu. Je lui suis infiniment reconnaissante de m’avoir permis de réaliser mon rêve. Comme elle a récemment déménagé dans un EMS, il est temps pour moi aussi de quitter cette demeure et de fermer définitivement mon cher atelier. La maison sera restituée à la Commune qui en est la propriétaire.


Mes parents, Charles et Gisèle Rollier, arrivés à Chêne-Bourg en 1951 avec mon frère et moi, ont déménagé 10 ans plus tard, d’un côté de la Place Louis-Favre, (au 6 av. de la Gare à l’époque, actuellement le Point Favre à l’av. F.A.-Grison) pour s’installer de l’autre côté, au 5 av. Révérend-Père Dechevrens. Ainsi, pendant près de 70 ans, notre famille a vécu aux abords de cette Place.


Je voudrais, avant de quitter cette maison pleine de bons souvenirs et en guise de témoignage après toutes ces années au service du Jeu et de la Joie de Peindre, partager avec vous un texte qui me tient à cœur :


« Il y a des images auxquelles nous ne prêtons que peu d’attention tant elles nous paraissent dérisoires, chaotiques ou bâclées ; je veux parler des tracés des petits enfants : ils gribouillent, griffonnent, font des taches de couleurs. Pourtant, cette base apparemment non organisée est un support précieux pour le développement futur naturel et hamonieux de la personne.

L’enfant y ajoute jour après jour, si on lui en laisse le loisir, imperceptiblement des éléments, des points, des traits, sans se rendre compte qu’il exerce ainsi sa main et, se faisant, il découvre des nouveautés qui l’enchantent. Un tracé devient rond, il le répète indéfiniment, puis il lui ajoute des rayons, ce qui devient une figure rayonnante. Un trait vertical l’incite à tracer par-dessus des traits horizontaux : voici une arête ; un angle se précise, une croix se forme, un point est fixé au milieu d’un rond, chaque découverte est répétée à l’envi et se renforce pour devenir de vraies figures.

Le geste devient plus sûr, l’enfant s’affirme, il croit en lui. Ses images ne sont pas copiées. Elles ne proviennent pas de l’extérieur de lui, il ne regarde pas son environnement pour le restituer fidèlement, même si, par ailleurs, il est très observateur. Il ne fait pas le lien entre les objets qui l’entourent et le fait de tracer. Il ne sait pas, à cette étape de sa vie, que la main peut obéir à la vue, car en réalité cette main est en prise directe avec ce que lui dicte son organisme : ces tracés-là sont programmés génétiquement, tous les enfants dessinent les mêmes figures qui deviennent par la suite les mêmes objets : soleil, arbres, fleurs, personnages, maisons, bande de ciel, bande de terre, cours d’eau, montagnes… Et c’est un vrai bonheur pour celui ou celle qui les fait naître sur sa feuille.

C’est la raison pour laquelle il serait dommage, pour ne pas dire contre-productif, de lui suggérer un dessin d’observation ou de lui montrer comment dessiner un mouton… cela serait contre-indiqué et contre-nature, car les mêmes éléments, qui n’avaient auparavant aucune justifications anecdotiques, deviennent des objets : par exemple un angle peut devenir une chaise, une figure ronde une tête ou une mare, un triangle une tente ou un toit, la figure rayonnante le soleil, les étoiles, etc.

L’enfant trouve tout seul ce jeu, sans l’aide de personne. Seul, il continue à jouer avec ces objets qui peuplent l’espace de sa feuille, c’est son monde, il en est le maître.

Un jour, patatras ! On lui impose des sujets, on veut l’obliger à dessiner ce qu’il voit ou à illustrer l’histoire qu’il a entendue, il n’est plus maître de son monde, il perd confiance, il se désintéresse du dessin, il est démotivé. Et l’on s’étonne : « Comment ? Pourquoi ? il s’exprimait avec une telle liberté auparavant et maintenant, il ne sait plus quoi dessiner ! Je ne comprends pas ».

Avec bonne conscience, sans le savoir, on lui vole son expression.

De la lente élaboration programmée, qui doit se développer à son rythme, sans hâte, se substitue la crainte, l’inquiétude, l’obsession de l’enseignement, de la réussite scolaire. Pourquoi la connaissance de ces faits simples ne rassure-t-elle pas la population dans son ensemble? Ne sait-on pas que la graine devient un arbre, que tout est là déjà en devenir? Il faut juste du temps, beaucoup de temps et de confiance.
L’enfant n’a besoin d’aucune aide graphique. Placé dans les conditions d’une réelle liberté de tracer pendant des années, sans influences imposées ni jugements mais avec les moyens techniques appropriés et une attention soutenue de la part des adultes présents, faite de respect et d’acceptation, il est capable d’une grande maîtrise qui l’amène tout naturellement, de la petite enfance à l’adolescence, à un réalisme désiré et abouti.

En se retournant sur ce passé fait de connexions avec ses images internes et externes, la personne est surprise de constater de visu ses capacités auparavant insoupçonnées, bien plus riches que tout ce qu’on aurait pu rêver pour elle ».

Nancy Tikou-Rollier, mai 2020

 

 

 

 

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